Dialog, blog sur la consommation de drogues et alcools

Des nootropiques aux smart drugs : origine de l’usage de drogues à des fins de performance

Devenir plus intelligent grâce à une substance qu’il suffirait d’ingérer fait rêver. Prenons par exemple le film Limitless, dont le héros devient brillant du jour au lendemain, grâce à l’usage de ce qu’on pourrait appeler communément une « smart drug ». Mais d’où viennent ces substances et comment sont-elles parvenues à créer un tel mythe autour d’elles ?

 

L’histoire d’une découverte scientifique accidentelle

C’est en 1937, dans le magazine Time, que le premier article traitant de la consommation de substances pour étudier sort au grand jour. La pilule alors nommée « peps » tire son origine des recherches du Dr. Gordon Alles, un jeune biochimiste commandité pour trouver un remède contre les allergies. C’est en 1929 que ce chercheur synthétise pour la première fois ce que l’on nomme aujourd’hui l’amphétamine. Efficace pour réduire les symptômes des allergies (p. ex., ses propriétés bronchodilatatrices), ce sont surtout ses effets stimulants qui intéressèrent le grand public. L’amphétamine est un médicament qui sera alors commercialisé sous le nom de Benzédrine et qui, durant la Seconde Guerre mondiale, sera donné aux soldats et aux pilotes pour les maintenir éveillés (Morelli et Tognotti, 2021).

Un autre tournant dans l’apparition de ces substances fut la découverte improbable du scientifique roumain, Cornelius E. Giurgea, en 1964. Mandaté pour créer un médicament provoquant le sommeil, le chercheur s’est penché sur le neurotransmetteur GABA[1] connu pour ses capacités reposantes. Cependant, au cours de ses recherches, Giurgea a synthétisé une molécule aux effets inverses : le piracétam. Une molécule qui augmente l’afflux sanguin de certaines zones du cerveau, favorise son oxygénation et améliore ainsi les fonctions cognitives et la mémoire du patient. Se rendant compte que le piracétam n’était pas toxique et ne provoquait aucun effet secondaire, le chercheur s’est alors battu pour classer ce médicament dans une catégorie à part : celle des « nootropiques », un terme venant du latin nóos qui veut dire « esprit » et tropein qui signifie « direction » (Giurgea, 1972).


L’élaboration d’une nouvelle classe de médicaments : les nootropiques

Bien que les nootropiques soient un semble de composants hétérogènes dont les méthodes de catégorisation ne font toujours pas consensus (Denis, 2021), Giurgea (1972) spécifie que ces substances doivent :

 

  • Faciliter la mémoire et l’apprentissage, la connectivité interhémisphérique et augmenter la résistance du matériel appris aux agents amnésiants ;
  • Permettre une activité antihypoxidotique et catatoxique ;
  • Faire disparaitre, jusqu’à de très fortes doses, tout effet psychotrope habituel (sédation, stimulation, modulations neurovégétatives, toxicités, etc.)

 

Petit à petit, la recherche en pharmacologie s’est penchée sur ces nootropiques pour traiter trois types de troubles : le trouble déficitaire de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH), la démence (les maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer) et la narcolepsie (Nicholson et Wilson, 2017). Réservés à un usage essentiellement médical, les nootropiques se voient rapidement utilisés hors de cet usage, pour leurs effets stimulants, notamment chez les étudiants en santé (c-a-d, sans trouble de santé mentale ou physique qui nécessite un usage médical de substances psychoactives), qui les renomment « smart drugs » (Canterbury et Lloyd, 1994). Comme le disait déjà Giurgea en 1972 : « L’homme n’attendra pas passivement des millions d’années pour que l’évolution lui offre un meilleur cerveau. » (Giurgea, 1972).

 

La stimulation cognitive par les smart drugs

C’est donc à travers cette envie de « booster » ses compétences que l’on commence à parler de stimulation cognitive (Cognitive Enhancement). Cette pratique peut s’identifier comme étant :

 

« L’utilisation de médicaments et/ou d’autres moyens dans le but d’améliorer les fonctions cognitives de [personnes en santé], en particulier la mémoire, l’attention, la créativité et l’intelligence (ou la résolution de problèmes) en l’absence de toute indication médicale » (Frati et al, 2015, p. 1).

 

L’utilisation de « smart drugs » par les étudiant.es postsecondaires en santé varierait entre 8% et 43%, dépendamment des pays et des « smart drugs ». Ces usages sont alors qualifiés de « dopage cognitif » (Farah et Smith, 2011 ; Collin, 2016 et Carton et al, 2018).

 

Cette pratique fait couler beaucoup d’encre dans les médias depuis son apparition et pour cause : son utilisation chez les étudiant.es ainsi que sur le marché du travail ne cesse d’augmenter. Certains l’aborde d’ailleurs dans un phénomène plus large de « pharmaceuticalisation » (Biron, 2021 ; Collin, 2016), soit une médicalisation de nos « sociétés néolibérales en quête permanente d’excellence et de dépassement » (St-Cyr-Leroux, 2023, Parag. 4).

 

À travers nos prochaines activités, vous en aurez l’occasion d’en apprendre davantage sur : ce phénomène et comment il s’insère dans notre société d’aujourd’hui, les avantages et les risques des smart drugs ainsi que les facteurs de protection et de risque qui peuvent mener les étudiant.es postsecondaires à en consommer et, pour certain.es, développer une dépendance.

 

Au plaisir de continuer cette réflexion avec vous !

 

Mathias Poisson

Étudiant au DESS en journalisme à l’UdeM

 

Bibliographie :

 

St-Cyr-Leroux, B. (2023). Le dopagne cognitif au travail : fonctionner ou performer ? UdeM Nouvelles. https://nouvelles.umontreal.ca/article/2023/05/08/le-dopage-cognitif-au-travail-fonctionner-ou-performer/

 

Canterbury, R. J., & Lloyd, E. (1994). Smart drugs : Implications of student use. Journal of Primary Prevention, 14(3), 197‑207. https://doi.org/10.1007/BF01324593

 

Carton, L., Cabé, N., Ménard, O., Deheul, S., Caous, A.-S., Devos, D., Cottencin, O., & Bordet, R. (2018). Pharmaceutical cognitive doping in students : A chimeric way to get-a-head? Therapie, 73(4), 331‑339. https://doi.org/10.1016/j.therap.2018.02.005

 

Collin, J. (2016). Smart Drugs : quelques mythes à détruire ? Conférence ISS, UQAM.tv. https://tv.uqam.ca/conference-iss-smart-drugs-quelques-mythes-detruire

 

Collin, J., Le Dévédec, N. & Otero, M. (2023). Smart drugs, microdosing, nootropics : « devenir performant » dans les milieux de travail aujourd’hui, Colloque 426. ACFAS, Montréal, Canada. https://www.acfas.ca/evenements/congres/programme/90/400/426/c

 

Denis, F. (2021). Smart drugs et nootropiques. Sociologie de la promesse d’optimisation cognitive au quotidien. Socio-anthropologie, 43, Article 43. https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.8393  

 

Frati, P., Kyriakou, C., Del Rio, A., Marinelli, E., Vergallo, G. M., Zaami, S., & Busardò, F. P. (2015). Smart Drugs and Synthetic Androgens for Cognitive and Physical Enhancement : Revolving Doors of Cosmetic Neurology. Current Neuropharmacology, 13(1), 5‑11. https://doi.org/10.2174/1570159X13666141210221750

 

Giurgea, C. (1972). Vers une pharmacologie de l’activité integrative du cerveau. Tentative du concept nootrope en psychopharmacologie. Actual. Pharmacol.(Paris)25, 115-156.

 

Malík, M., & Tlustoš, P. (2022). Nootropics as Cognitive Enhancers : Types, Dosage and Side Effects of Smart Drugs. Nutrients, 14(16), 3367. https://doi.org/10.3390/nu14163367

 

Morelli, M., & Tognotti, E. (2021). Brief history of the medical and non-medical use of amphetamine-like psychostimulants. Experimental Neurology, 342, 113754. https://doi.org/10.1016/j.expneurol.2021.113754

 

Nicholson, P. J., & Wilson, N. (2017). Smart drugs : Implications for general practice. The British Journal of General Practice, 67(656), 100‑101. https://doi.org/10.3399/bjgp17X689437

 

Rose, S. (2003). ’Smart drugs’ : Do they work ? Are they ethical ? Will they be legal ? Nature Rev. Neurosci. 3, 975-979. Nature reviews. Neuroscience, 3, 975‑979. https://doi.org/10.1038/nrn984

 

Schifano, F., Catalani, V., Sharif, S., Napoletano, F., Corkery, J. M., Arillotta, D., Fergus, S., Vento, A., & Guirguis, A. (2022). Benefits and Harms of ‘Smart Drugs’ (Nootropics) in Healthy Individuals. Drugs, 82(6), 633‑647. https://doi.org/10.1007/s40265-022-01701-7

[1] Un neurotransmetteur (NT) est une molécule chimique de notre cerveau qui permet à deux neurones de communiquer entre elles, et ce, afin d’avoir une réponse cohérente de notre cerveau. L’activité de certaines régions de notre cerveau peut : 1) augmenter (­+) par les NTs dits excitateurs ; 2) diminuer (-­) par les NTs dits inhibiteurs ; ou 3) être modulée (­+ ou -) par les NTs dits modulateurs. Le GABA, le principal NT inhibiteur de notre cerveau, permet de favoriser la relaxation et le sommeil ainsi que de mieux contrôler les affects liés à la surexcitation de notre cerveau, comme la peur ou l’anxiété.

Mathias Poisson

Mathias Poisson

Vulgarisateur scientifique de Dialog'tox,
étudiant à la maitrise en Communication à l'UQAM et au DESS en journalisme à l'Université de Montréal


« Mon travail à Dialog'Tox est motivé par l'envie de vulgariser des connaissances scientifiques dans le but d'informer et démystifier les uses et coutumes en matière de consommation de drogue. »

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